Greffes de cornée

POURQUOI UNE GREFFE DE CORNÉE ? - Validation Dr O Prisant

- Ancien interne des Hôpitaux de Paris
- Ancien chef de clinique-assistant des Hôpitaux de Paris
- Associé de la Clinique de la Vision
- Ancien assistant de la Fondation ophtalmologique Rothschild
- Spécialisé en Chirurgie Oculaire Réfractive et de la Cataracte
- Orateur à de nombreux congrès nationaux et internationaux
 
 
 
 
 

 

Une greffe de cornée (ou kératoplastie) est réalisée quand une pathologie cornéenne, non accessible à des traitements conservateurs (médicaux, lentilles rigides, lasers, anneaux-intra-cornéens) limite sévèrement l’acuité visuelle et/ou est la cause de douleurs importantes.

Elle consiste à remplacer la cornée dans toute son épaisseur (greffe de cornée transifixiante), ou  seulement en partie (greffe de cornée lamellaire), en fonction de la pathologie.

Les causes de baisse d’acuité visuelle d’origine cornéenne peuvent être une perte de transparence (kératocône très évolué,  œdème de cornée, cicatrice post-traumatique ou infectieuse par exemple hérpétique ou suite à une infection sous lentilles de contact,), et/ou une anomalie de forme (irrégularité (kératocône en premier lieu).

Les deux principales indications en France et dans les pays développés sont le kératocône et la dystrophie de Fuchs ou cornea guttata. 

Quatre mille greffes de cornées sont réalisées en France chaque année, à comparer aux 550 000 interventions de chirurgie de cataracte.

Le greffon est nécessaire pour la réalisation d’une greffe de cornée. Les greffons utilisés sont d’origine humaine, et prélevés en France. La gestion des greffons est assurée par des banques de cornée, réparties sur le territoire.

Les cornées sont prélevées après le décès règlementaire, quelquesoit son mode  Cela permet un plus grand nombre de dons.

Après prélèvement, les cornées sont conservées pendant une période de quarantaine. Les contrôles biologiques effectués pendant cette phase permettent de s’assurer de l’absence de contamination bactériologique ou mycologique, du statut virologique du donneur, et de la qualité du greffon lui-même (transparence, endothélium).

Les cornées artificielles existent (kératoprothèse). Cependant, à ce jour, elles sont la source de beaucoup plus de complications que les greffons humains. Aussi, elles ne sont proposées que dans de très rares indications.

LES DIFFÉRENTS TYPES DE GREFFE DE CORNÉE ET LEURS INDICATIONS

Greffes de cornée antérieures  DALK, KLAP, SALK...
Au cours des 15 dernières années, les greffes de cornée ont évolué d’une approche invasive (kératoplastie transfixiante ou KT) vers une approche plus conservatrice (greffes lamellaires) cherchant à ne remplacer que la couche cornéenne pathologique et à préserver les autres couches saines de la cornée du patient.
En effet, la KT qui était la seule technique couramment pratiquée quelle que soit l’indication, est une intervention lourde, présentant les risques peropératoires d’une chirurgie à globe ouvert et postopératoires d’un rejet de greffe variables suivant les facteurs de risques présents : néovaisseaux, âge jeune, greffes itératives… La corticothérapie au long cours associée à la KT présente elle aussi son cortège de complications, parmi lesquelles un glaucome ou une cataracte cortico induites.
Sur le plan visuel, la KT génère un astigmatisme cornéen souvent majeur et asymétrique malgré la gestion de l’ablation des sutures dans le temps. L’adaptation en lentilles rigides après KT est souvent difficile et le recours à d’autres chirurgies complémentaires est fréquemment nécessaire pour améliorer la fonction visuelle : incisions arciformes, implants phakes ou aphakes, laser excimer… 

Le concept des greffes lamellaires
Le concept des greffes lamellaires de cornée remonte au début du siècle, mais les premières tentatives se sont avérées le plus souvent infructueuses. Depuis environ deux décennies et grâce à plusieurs innovations technologiques issues en grande partie des progrès de la chirurgie réfractive cornéenne (microkératome, laser femtoseconde…) sont apparues plusieurs techniques de greffes lamellaires qui ont littéralement révolutionné le paysage des greffes de cornée et leurs indications. Ces techniques permettent de ne remplacer que la couche cornéenne pathologique et de conserver les autres couches saines. Les greffes lamellaires cornéennes peuvent schématiquement être classées en antérieures, destinées à remplacer un stroma pathologique (Kératocône, dystrophies ou taies stromales…) et postérieures destinées à remplacer un endothélium déficient (dystrophie de Fuch’s, décompensation endothéliale du pseudophake…).

Les greffes lamellaires antérieures de la cornée
Les greffes lamellaires antérieures sont indiquées pour remplacer un stroma cornéen pathologique (kératocône, dystrophies stromales, cicatrices stromales visuellement gênantes) lorsque l’endothélium est sain.  Elles peuvent être superficielles (SALK = Superficial Anterior Lamellar Keratoplasty) si la lésion ne concerne que le stroma superficiel ou le plus souvent profondes (DALK = Deep Anterior Lamellar Keratoplasty ou KLAP en français = Kératoplasties Lamellaires Antérieures Profondes) lorsque la lésion stromale est plus profonde. Nous dirons un mot rapide des SALK qui sont d’indication plus rare avant d’aborder les DALK.

Greffes lamellaires antérieures superficielles (SALK)
Principe
La greffe lamellaire antérieure superficielle ou SALK  (Superficial Anterior Lamellar Keratoplasty) consiste à ne remplacer qu’une lamelle de stroma cornéen superficiel. Cette technique est indiquée en cas de lésions stromales superficielles (taies, cicatrices…), touchant l’axe optique et limitant la vision, mais néanmoins trop profondes pour être traitées en PTK (laser excimer thérapeutique des surface).

Technique
Sur le receveur (patient), le stroma est découpé de la même manière qu’un volet de LASIK soit à l’aide d’un microkératome, soit si la transparence le permet à l’aide du laser femtoseconde. La profondeur de la découpe est réglée en fonction de l’OCT préopératoire qui mesure précisément la profondeur de la lésion à enlever.
La découpe est réalisée de la même manière sur le greffon, ce qui nécessite de pouvoir le monter sur une chambre antérieure artificielle. Afin d’assurer une coaptation parfaite, le diamètre et l’épaisseur du greffon sont identiques à celles de la lamelle cornéenne pathologique retirée. Le greffon est ensuite suturé par plusieurs points et protégé par une lentille thérapeutique pendant quelques jours. La pompe endothéliale assure rapidement la cohérence du greffon sur le lit stromal.

Avantages et inconvénients
Il s’agit d’une technique peu invasive, générant peu d’astigmatisme et avec un risque de rejet très réduit. L’amélioration visuelle est le plus souvent bonne mais néanmoins limitée par l’interface stroma-stroma, optiquement de moins bonne qualité qu’une interface stroma-descemet.

Greffes lamellaires antérieures profondes (DALK)
Principe
La DALK (Deep Anterior Lamellar Keratoplasty) ou KLAP en français (Kératoplastie Lamellaire Antérieure Profonde) consiste à remplacer la totalité du stroma cornéen et à ne conserver que la membrane de Descemet et l’endothélium du receveur.

Indications
Cette technique est indiquée pour toutes les pathologies stromales avec endothélium sain au premier rang desquelles le kératocône   Les dystrophies stromales (Groenouw 1 et 2, grillagée, maculaire, Schnyder…) ou séquelles de kératite infectieuse par exemple d’une kératite interstitielle ancienne constituent d’autres indications plus rares.

Technique
La greffe lamellaire antérieure profonde repose sur l’existence d’un plan de clivage entre le stroma et la membrane de Descemet qu’il est possible de disséquer de plusieurs manières. La méthode la plus couramment utilisée et la plus efficace est la technique de la « big bubble » proposée par le saoudien Anwar en 2002, consistant à réaliser une aérodissection de ce plan en injectant de l’air sous forte pression.    Une courbe d’apprentissage plus ou moins longue est incontournable afin d’obtenir la « big bubble » de façon reproductible dans environ 90% des cas. Lorsque la « big bubble » n’est pas obtenue, une conversion en KT peut être nécessaire.

Avantages
L’intérêt principal de la DALK par rapport à la KT se mesure en termes de longévité endothéliale. D’un point de vue endothélial, la durée de vie d’un greffon après KT est de l’ordre de 20 ans en moyenne, limitée par le risque de rejet endothélial d’une part et surtout par la décroissance endothéliale du greffon d’autre part, bien plus rapide que la décroissance physiologique de l’endothélium sain du receveur. Ainsi les jeunes patients kératoconiques greffés en DALK conserveront leur greffon toute la vie au lieu de 20 ans en moyenne après KT. La DALK permet également de retirer les sutures et d’équiper les patients en lentilles rigides plus tôt qu’après KT. En revanche, la récupération visuelle et l’astigmatisme postopératoires sont comparables en DALK et en KT.

Conclusion :
La KLAP (Kératoplastie Lamellaire Antérieure Profonde) ou DALK (en anglais) est la technique de greffe de cornée de référence actuelle pour toutes les pathologies cornéennes où l’endothélium du receveur est intact, en particulier le kératocône. Cette technique repose sur la création d’une « big bubble » d’une manière fiable et reproductible, ce qui peut nécessiter une courbe d’apprentissage le plus souvent assez longue.
En permettant au patient de conserver son propre endothélium et en évitant un risque de rejet endothélial, l’avantage de la KLAP par rapport à la KT est d’allonger la longévité du greffon à toute la vie du patient. 

Greffe pré-descémétique : kératocône (et autres atteintes stromales pures)
Dans le kératocône, la couche postérieure de la cornée (endothélium) est saine, sauf en cas de rupture spontanée, ce qui n’arrive que dans les stades les plus évolués (kératocône aigu ou hydrops). Or l’endothélium est la couche qui est à l’origine de la plupart des cas de rejet. Il est donc tout à fait légitime de tenter de préserver cette couche très fine (seulement 50 microns d’épaisseur), pendant la chirurgie.

Ainsi, en primo-intention, on essaie toujours de réaliser une greffe dite « pré-descemétique ». Dans cette technique, réalisée sous anesthésie générale (la durée est de 1 heure environ), la cornée du receveur est trépanée sur un diamètre proche de 8 mm, mais sur une profondeur incomplète. Le stroma est séparé de l’endothélium grâce à l’injection en son sein, sous pression, d’une bulle d’air. Le stroma peut être retiré tout en laissant en place la fine couche endothéliale. Ensuite, le greffon dont l’endothélium a été retiré, est suturé par des fils extrêmement fins. Les sutures sont laissées en place au moins 6 mois, puis retirées en consultation.

Malheureusement, même dans les mains les plus expertes, il n’est pas possible de préserver l’endothélium dans tous les cas (seulement dans 75 % des cas environ). Une conversion peropératoire en greffe transfixiante est alors effectuée, ce qui ne diminue en rien la qualité de la récupération visuelle.

Greffe endothéliale : atteintes endothéliales pures
Quand l’endothélium est la seule couche pathologique, il est possible de ne remplacer que cette seule couche.  On parle de greffe endothéliale.

Ce type de greffe doit être proposé en première intention.  En effet, les greffes endothéliales présentent de nombreux avantages, comparativement aux greffes transfixiantes. L’intégrité du globe oculaire est préservée, seule une petite incision de 4 mm étant nécessaire. La récupération visuelle est plus rapide, de l’ordre de quelques semaines au lieu de plusieurs mois, voire années. La correction optique postopératoire est faible (quasiment aucun astigmatisme induit). Les quelques sutures fermant l’incision peuvent être retirées dès la fin du premier mois. L’innervation cornéenne est préservée, évitant ainsi un long et souvent irréversible syndrome sec. Au final, la quantité et surtout la qualité de vision postopératoire sont bien supérieures.

Il faut noter que la bonne maîtrise de cette technique, nécessite une phase d’apprentissage.

La durée de cette intervention est d’environ1 heure. Un positionnement sur le dos pendant les premières heures est important pour un bon succès de l’intervention.

Greffe transfixiante : atteintes stromales et endothéliales associées
En cas d’atteintes irréversibles du stroma et de l’endothélium (ou en cas d’échec d’une greffe prédescemétique ou endothéliale), la réalisation d’une greffe transfixiante s’impose. C’est la technique de greffe de cornée la plus ancienne.

La cornée est trépanée sur un diamètre d’environ 8 mm, et sur toute son épaisseur. Elle est remplacée par un greffon de même diamètre, ou légèrement supérieur. Le greffon est suturé soit par un surjet, soit par des points séparés, soit par une association des deux techniques. Les sutures seront laissées en place pendant une durée minimale d’une année, puis retirées en consultation.

 

APRÈS LA GREFFE

Douleur
Les suites opératoires sont en général peu douloureuses.

Récupération visuelle
La récupération visuelle est lentement progressive. La vitesse de récupération dépend de la technique, et de chaque cas. Une vision utile est retrouvée au bout de quelques jours, mais la vision maximale n’est atteinte qu’au bout de plusieurs mois. La correction optique définitive peut être réalisée au bout de 3 mois en cas de greffe endothéliale, mais plus tardivement en cas de greffe transfixiante ou prédescemétique. La correction varie en effet tant la gestion des sutures n’est pas terminée.

Une correction optique importante est parfois nécessaire après greffe transfixiante ou prédescemétique. Dans ce cas, une lentille rigide peut être plus utile qu’une correction par verre de lunette. La réalisation de gestes de chirurgie réfractive par laser femtoseconde et/ou excimer est aussi possible pour diminuer l’importance de la correction (seulement après l’ablation de tous les points).

COMPLICATIONS

Rejet de greffe
La complication spécifique de la greffe de cornée est le rejet.  Le rejet est lié à la reconnaissance par l’organisme du receveur des antigènes du greffon. Il s’en suit le déclenchement d’une cascade biologique ayant pour but de « lutter » contre le corps étranger représenté par le greffon. Le risque maximal de rejet est au cours de la première année.

Les symptômes ressentis peuvent être douleur oculaire, rougeur, larmoiement ou photophobie. Une consultation en urgence est indispensable dans ce cas.

Il peut cependant n’y avoir au départ aucun symptôme, d’où l’importance d’un suivi régulier et mensuel par un ophtalmologiste. En effet, la rapidité de la mise en route du traitement conditionne les séquelles de l’épisode de rejet.

Le traitement est basé sur une corticothérapie locale intensive (collyre toute les heures, voir injection périoculaire),  à laquelle est parfois associée une corticothérapie par voie générale (intraveineuse et/ou orale).

Les séquelles sont variables en fonction de l’importance et de la fulgurance de l’atteinte. Elles peuvent être de quasi-insignifiantes, jusqu’à à la perte du greffon. Dans ce cas, le greffon demeure définitivement blanchâtre, et doit être remplacé en respectant une période d’au moins un an par rapport à l’épisode de rejet.

Il est important d’insister sur le fait que la prévention, basée sur un traitement bien conduit et une surveillance régulière, est fondamentale.

Autres complications
De nombreuses complications peuvent émailler  les suites d’une greffe de cornée. Seules les plus graves ou fréquentes sont ici mentionnées.

Les deux complications les plus graves sont l’infection (endophtalmie) et l’hémorragie expulsive. Elles peuvent aboutir à la perte du globe oculaire mais demeurent exceptionnelles.

Plus fréquemment, les suites opératoires sont émaillées d’épisode d’hypertonie oculaire, effet secondaire des collyres à base de cortisone. Asymptomatique le plus souvent, elle nécessite une prise en charge rapide et adaptée. La sécheresse oculaire, avec comme conséquence une altération de la surface cornéenne (kératite) est quasi-systématique après trépanation. Elle entraîne une sensation de grains de sable et limite parfois la vision.

Les sutures peuvent se détendre ou se casser. Elles doivent dans ce cas être retirées dans les meilleurs délais pour ne pas entraîner d’infection (abcès) ou de rejet.

TRAITEMENT POSTOPÉRATOIRE

Le traitement postopératoire est capital pour obtenir le succès d’une greffe de cornée.

Il ne comprend que des traitements locaux par collyres et/ou pommade, éliminant ainsi les effets secondaires des traitements par voie générale indispensables dans la plupart des autres greffes d’organes.

Il est basé sur un collyre antibiotique les premières semaines, et surtout un collyre corticoïde, principale arme préventive contre le rejet pendant un période d’une année au moins. La fréquence d’instillation sera décroissante au cours du temps. Un traitement lubrifiant est également utile, et sera adapté à l’état de la surface oculaire de chaque patient (collyre, gel, pommade).

Laser femtoseconde et greffes de cornée
Le laser femtoseconde est depuis 2004 couramment utilisé pour réaliser des découpes intracornéennes, avec une précision de seulement quelques microns. Il a surtout remplacé l’usage du microkératome pour la réalisation des opérations de chirurgie réfractive appelées LASIK.

Dans le domaine des greffes de cornée, des applications sont possibles, mais ne sont réellement judicieuses à ce jour que dans des cas particuliers.

Dernière modification le : 26/04/2022